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Catherine Martin

Catherine Martin : "Mes fils ont vécu dans la peur du gendarme"

Onze ans que Catherine Martin consacrait chaque minute de son temps libre et ses moindres deniers à la recherche de Shahi'yena et Okwari, ses fils de 7 et 6 ans ! Elle les a retrouvés il y a une semaine sous une identité d'emprunt: Théo et Manu. Ils avaient été enlevés en décembre 1997 par Xavier Fortin, son ex-compagnon, à la faveur d'un droit de visite pendant les vacances de Noël.

Un voisin de leur village d'adoption, Massat (Ariège), où ils étaient installés comme éleveurs-cultivateurs avec leur père dans une grange reculée, a fait le rapprochement entre leurs visages d'adolescents et celui de photos figurant sur une affiche d'enfants disparus. Mais renouer après une si longue séparation ne s'improvise pas.

Si ces beaux et débrouillards jeunes hommes âgés de 18 et 17 ans appellent bien Mme Martin "maman" et se réjouissent de leurs retrouvailles, ils n'ont qu'une idée en tête : faire sortir de la maison d'arrêt de Draguignan leur père, qui sera jugé le 17 mars.

Pour parvenir à le sauver, les deux garçons qui s'ingéniaient à se fondre dans le paysage clament - comme une leçon trop bien apprise - que leur clandestinité était "assumée", "choisie". "Nous avons bénéficié d'une éducation exemplaire et exceptionnelle, et on ne sera jamais assez reconnaissant envers notre père", ont-ils déclaré vendredi 6 février à La Dépêche du Midi, racontant l'enseignement dispensé à domicile par leur géniteur titulaire d'une maîtrise de sciences naturelles.

Mais quel autre choix a-t-on vraiment à l'âge tendre de 6 et 7 ans que de suivre un père, si marginal soit-il, lorsqu'il est aimant et profondément convaincu de vous soustraire "dans votre intérêt" à l'influence "néfaste" de votre mère ?

"Mes fils ont vécu dans la peur du gendarme, décrypte Catherine Martin pour expliquer leur ambivalence d'aujourd'hui. Fortin leur avait expliqué que si on l'arrêtait, ils seraient placés par la DDASS dans des foyers." Repérés dans l'Hérault en août 1998, ils ont d'ailleurs fui dans les bois de toute la force de leurs petites jambes pour échapper à la maréchaussée.

Selon Mme Martin, ses enfants étaient "programmés depuis longtemps" sur la conduite à tenir en cas d'arrestation de leur père et ils s'y conforment instinctivement aujourd'hui. "Leur monde a été construit sur des mensonges, les excuse-t-elle. Pendant onze ans, ils ont été séquestrés..." Bien que ses fils n'aient jamais subi la moindre maltraitance ni vécu reclus, elle emploie le terme à dessein pour signifier l'enfermement mental imposé par leur père. "Il se présentait comme veuf, les enfants devaient donc prétendre que j'étais morte", raconte-t-elle.

Morte, Catherine Martin l'est devenue aux yeux de Fortin lorsqu'elle a décidé au milieu des années 1990 de rompre avec son existence nomade et alternative d'instituteur itinérant montrant des animaux dans les écoles en Normandie. Avec trois enfants - elle avait, d'une première union un fils, Nicolas, aujourd'hui âgé de 24 ans, que Fortin avait reconnu -, Catherine était lasse de vivre sans eau ni d'électricité. Dogmatique, Fortin s'est entêté. Pas question de laisser sa compagne travailler à l'extérieur, de scolariser les enfants ou de vivre dans une maison... Catherine s'est alors installée dans le Var auprès de ses parents avec les enfants dont elle avait la garde : une rupture vécue par Fortin comme une véritable trahison idéologique.

Quand il a enlevé Shahi'yena et Okwari en décembre 1997, il n'en était pas à son coup d'essai. En février 1997, Catherine Martin avait dû aller récupérer ses trois fils en Normandie avec le concours des gendarmes dans une communauté de gens du voyage. "A Noël, Nicolas n'y est pas allé, explique Catherine, il avait douze ans et Fortin ne pouvait plus le mettre dans sa poche aussi facilement que les petits."

La cavale de onze années a été favorisée par la complicité du père de Xavier Fortin qui réglait ses impôts et effectuait des retraits d'argent sur un compte bancaire sur lequel il recevait l'allocation de solidarité spécifique. Une sexagénaire, présidente d'une association, qui fut une relation du couple Martin-Fortin a également servi d'intermédiaire à Fortin comme "boite aux lettres". Poursuivie par Mme Martin, cette sympathisante de Fortin a écopé en 2005 de douze mois de prison avec sursis. Absent du tribunal, Fortin avait été condamné par défaut à deux ans d'emprisonnement dans la même procédure.

L'arrestation de leur père a-t-elle fait prendre conscience à Shahi'yena et Okwari que la société est régie par des lois ? "Eux seuls pourraient répondre", dit prudemment leur mère.

Patricia Jolly

Source : LE MONDE | 07.02.09

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