Un Italien de 31 ans a abusé d'un enfant sous les yeux de son père, consentant. Le prédateur sexuel s'est mis à table devant les enquêteurs. Récit.
Renaud Malik et Fabiano Citroni -

Un Suisse m'a vendu son enfant pour 450 fr.

Un pédophile italien a pu abuser d'un enfant de 7 ans après avoir versé 450 francs à son père, un homme domicilié en Suisse alémanique. L'aveu, terrible, est venu de la bouche du prédateur transalpin, coffré dans le cadre d'une vaste opération de lutte contre la pédopornographie menée par la police italienne.

Les faits remontent à 2007. Mais jusqu'à lundi et les révélations de la Gazzetta del Mezzogiorno, ils n'avaient jamais été évoqués dans la presse. Le quotidien s'est procuré le procès-verbal de l'audition de Pietro M., 31 ans, enseignant spécialisé, interrogé par la magistrate Anna Gloria Piccininni en juillet 2010 à Potenza, en Italie méridionale.

«J'ai d'abord joué avec son fils»
«Le Matin» a obtenu une copie de ce document. Pietro M. répond tout d'abord à des questions sur deux écoliers – l'un souffrant de troubles du développement, l'autre d'autisme – dont il a abusé. Il raconte, entre autres, avoir pris des photos de ces enfants et les avoir échangées sur Internet. Puis la magistrate lui demande: «Avez-vous eu des contacts avec une personne qui se trouve en Suisse?» «Oui, en 2007, via Internet», répond l'accusé.

Et Pietro M., qui se faisait notamment appeler «Jimmy2» ou «Lady Oscar» sur la Toile, de se mettre à table: «Sur Internet, un des pseudos du Suisse était «Dad of Spain». Je me suis rendu à son domicile. Je ne me souviens plus du nom de la ville, mais il est venu me chercher un après-midi à la gare de Zurich. Il a dit s'appeler Dave. Chez lui, j'ai d'abord joué avec son fils de 7 ans. Puis j'ai pris l'enfant en photo dans son bain. Ensuite, l'enfant a eu un rapport oral avec son père, j'ai continué de prendre des clichés.»

Enfant drogué?
Vers 21 h 30, le garçon va au lit. «Je suis allé dans sa chambre, raconte le prédateur. Alors qu'il dormait, j'ai eu un rapport anal et oral avec lui. Le père était présent. Quand j'ai eu fini, il m'a remplacé. L'enfant dormait toujours. J'avais négocié ce rapport avec le père. Nous avions convenu d'un montant de 450 francs. Je lui ai remis cette somme le lendemain matin lorsqu'il m'a raccompagné à la gare.»

La magistrate Anna Gloria Piccininni poursuit son interrogatoire. «Le père a-t-il donné à boire à son fils?» Pietro M.: «Il lui a donné un verre de Coca. Mais je ne sais pas s'il a ajouté une substance dedans. Et je n'ai pas cherché à le savoir.»

La magistrate: «Vous êtes-vous protégé avec l'enfant?» Le pédophile: «Non, le rapport s'est fait sans protection.» La magistrate: «Vous avez encore les photos?» Pietro M.: «Oui, elles sont sur le disque dur qui a été séquestré. Pour protéger mes fichiers, j'ai suivi les conseils du Suisse et utilisé un programme de cryptage des données. Reste que je n'ai plus eu de contacts avec lui. Je ne le voyais plus sur Internet. En mai 2009, j'ai lu qu'en Suisse un homme qui vendait son fils avait été arrêté. Je me suis dit que ça devait être lui.»

Réseau démantelé
Dave, dit «Dad of Spain», a-t-il donc été arrêté? Etait-il membre de ce réseau pédophile démantelé courant 2008 en Allemagne et en Suisse? Pour mémoire, huit personnes – dont trois établies en Suisse – avaient été arrêtées. Plusieurs d'entre elles étaient soupçonnées d'avoir drogué leurs propres fils pour en abuser sexuellement avant de les échanger au sein du réseau.

Porte-parole de la police cantonale de Thurgovie, où deux des huit suspects ont été interpellés, Rolf Müller ne nous dit pas si «Dad of Spain» est l'un d'eux. Mais sa réponse pourrait le laisser entendre. «Le Parquet de Frauenfeld (TG) soupçonne un citoyen allemand domicilié en Thurgovie d'avoir commis des actes d'ordre sexuel avec des enfants entre l'été 2007 et son arrestation, en mai 2008. L'accusé aurait abusé de son fils de 7 ans et attiré plusieurs autres pédocriminels chez lui.»

Quid de l'enfant? «Depuis le début de la procédure, il a été confié aux autorités compétentes, répond le porte-parole de la police. L'accusé, arrêté au terme d'une enquête internationale, a reconnu les faits et se trouve actuellement en prison en Suisse.» Ce qui lui fait un autre point commun avec Pietro M. Ce dernier est également incarcéré. Il attend l'ouverture de son procès, renvoyé à deux reprises depuis le début de l'année.

Interrogée par la Gazzetta del Mezzogiorno après l'arrestation du prédateur sexuel italien, la magistrate Anna Gloria Piccininni avait confié «qu'Internet facilite la vie des pédophiles. Ils ont cette perversion et ils trouvent des personnes qui l'ont aussi sur la Toile. Ils en discutent, s'influencent. Et se sentent légitimés.»

Un logiciel pour traquer les prédateurs

Chaque année en Suisse, des dizaines de pédophiles sont repérés sur le Net et dénoncés aux polices cantonales. La traque est menée depuis Berne par le Servicede coordination de la lutte contre la criminalité sur Internet (SCOCI). Là, comme ailleurs en Europe, les cyberpatrouilleurs utilisent un logiciel qui appartient à l'ONG genevoise Action Innocence. Développé entre 2004 et 2007 par un informaticien français, Frédéric Aidouni, il permet de scanner les plates-formes d'échanges de fichiers peer to peer, là où les pédophiles diffusent images et films. «Le principe, c'est de trouver ceux qui diffusent les fichiers en procédant à une recherche par mots-clés, note Frédéric Aidouni. On entre un mot, comme par exemple «boy and dad», et on obtiendra rapidement une liste de pseudonymes avec le pays, la ville et le nombre de fichiers diffusés.» Reste ensuite à adresser une réquisition au fournisseur d'accès Internet, afin d'obtenir le nom et l'adresse de l'abonné suspect. Frédéric Aidouni ajoute qu'il a récemment conçu un autre programme, baptisé Torpedo, qui pourrait optimiser encore la traque: «Le logiciel permet de voir, sur un réseau peer to peer, les requêtes que tapent les gens. En clair, dès qu'une personne tape un mot-clé suspect sur son clavier, je la vois le taper. C'est terriblement efficace, mais je n'ai pas encore reçu de réponses favorables.»

le 08 mars 2011