Le calvaire d’Irina Belenkaya continue

La mère de la petite Elise ne peut voir sa fille que six heures par mois. La jeune femme russe va faire appel du jugement qui lui refuse la garde partagée. Elle est prête à s'installer en France pour se rapprocher de son enfant

Danièle Georget - Parismatch.com

La justice a tranché. Dans le vif d'un lien naturel. Celui qui unit une mère à sa fille de 3 ans. Irina Belenkaya demandait la garde partagée d'Elise à la présence de laquelle aucun de ses parents ne veut renoncer. Elle ne l'a pas obtenue. Pour le moment du moins. Mais pourquoi obtiendrait-elle dans quatre mois ce qui lui est refusé aujourd'hui? Jean-Michel André avait prévenu: si cette solution était retenue, avait-il menacé, «je prendrai le maquis, ma valise est prête…» Pas question, pour lui, de déposer les armes avant la capitulation totale de l'ennemi.

Donc, pendant les quatre mois qui viennent, et malgré les congés scolaires, Irina ne pourra pas vivre avec sa fille. Ni un mois, ni huit jours, ni même un dimanche. Elle ne pourra lui rendre visite que trois fois dans le mois, pendant deux heures, dans le local d'une association. Quand on lui demande quand est fixé le premier rendez-vous, elle répond: «samedi, peut-être…» «Peut-être» est le mot français qu'elle connaît le mieux.

Sasha n'a pas le droit de voir sa sœur

Sasha, sa grande fille de 8 ans, venue exprès de Moscou pour retrouver Elise, l'apprend elle aussi. Elise est sa demi-sœur, mais quand Irina lui a appris qu'elle ne pourrait pas la voir, Sasha n'a pas à moitié pleuré. Pour Sasha, Elise est un élément du puzzle en miettes. Une famille.
Alors, elle a insisté: «Mais quand pourrais-je la voir?» Irina a répondu: «La semaine prochaine, peut-être.» Sur ce point, elle a menti, car pour des motifs qui nous échappent, la justice n'autorise pas Sasha à aller embrasser sa sœur. Sans doute, la croit-on dangereuse, avec ses crayons de couleur? Sans doute craint-on qu'elle ne lui communique quelque message secret? Mais en quelle langue? Elles n'en ont plus de commune.

Depuis qu'elle a été séparée de sa mère, Elise a oublié le russe.

Et les quelques mois que Sasha a passés en France ne lui ont pas donné l'envie de cultiver son français. Sasha n'était pas heureuse chez Jean-Michel André. C'est même pourquoi, sans doute, les soucis ont commencé, parce qu'elle a préféré retourner vivre en Russie, près de son propre père, où sa mère a voulu la rejoindre. Pauvre Sasha qui ne veut plus fêter son anniversaire tant que ceux qu'elle aime ne seront pas assis ensemble à la même table… Mais l'histoire de Sasha ne concerne pas la justice française. En revanche, l'intérêt supérieur de l'enfant français qui, en matière d'affaires familiales doit toujours guider les juges, commande. Et c'est lui qui exigerait qu'Elise soit coupée de ses racines russes. Jean-Michel André ne peut envisager l'idée que sa fille retourne seule à Moscou, même si le médiateur s'engageait à garantir son retour en France.

Depuis l'annonce du jugement, Irina a commencé à envoyer son curriculum vitae à des sociétés internationales qui pourraient l'employer ici.

Irina a choisi. Elle n'abandonnera pas Elise, même si pour veiller sur elle, elle doit se tenir à plusieurs kilomètres de distance.

La dernière fois que nous l'avions rencontrée, à Marseille, elle nous avait expliqué: «Je n'ai jamais eu peur de me séparer de mes enfants, quand je sens qu'ils sont heureux. Cette fois, je sens qu'on est en train de casser ma fille…» Alors, elle est prête à rester six mois, un an, deux ans, en France. Prête à attendre, à disposition, un rendez-vous, un message, avec cette certitude qu'Elise grandit et qu'on ne pourra pas toujours l'obliger à vivre loin de ceux qu'elle aime. Enfin… «peut-être…»

«Maman est à Marseille!»,criait Elise à son père

Depuis sa sortie de prison, le 27 mai, elle ne l'a vue que deux fois. En présence du père, de son avocat, et du consul de Russie. Une demi-heure, puis vingt minutes. Bien sûr, elle a aussi été autorisée à lui téléphoner. Une fois. Et comme Jean-Michel André refusait de lui passer l'enfant, elle est allée téléphoner du commissariat. «Maman est à Marseille, Maman est à Marseille!», criait Elise à son père. Une autre fois, Irina a trouvé la voix de Jean-Michel André sur sa messagerie. Elle disait: «Tu entends? Maman ne veut pas te parler.»

Le supplice continue. Obsédant, lancinant.

Mais le plus étrange est qu'on n'y trouve guère à redire. Assiste-t-on là à un match de foot? Faut-il absolument se ranger derrière son équipe nationale en agitant les couleurs?

Il y a vingt ans, Betty Mahmoody, l'auteur de «Jamais sans ma fille», devenait une héroïne. Qu'avait-elle fait de si extraordinaire? Déjouer les lois iraniennes qui lui interdisaient de ramener sa fille aux Etats-Unis. Son histoire est devenue un best-seller, adapté au cinéma. Il est vrai qu'il s'agissait de l'Iran, où la justice traite les femmes en êtres juridiquement inférieurs. Ainsi, dans la plupart des pays musulmans, le «code de la famille» stipule qu'en cas de remariage, les femmes répudiées perdront la garde de leurs enfants âgés de plus de 7 ans. Sept ans! C'est si cruel! Ici, désormais, on fait mieux.

La justice est aveugle. Elle ne voit aucune différence de nature entre l'amour que les hommes et les femmes portent à leurs enfants. Oui, bien sûr. Les philosophes n'ont pas fini de raisonner sur le sujet, les experts de donner leurs avis, éminents, les féministes de démontrer que l'instinct maternel est une invention culturelle pour asservir les femmes…

Alors qu'on cesse de rassurer les nouveaux-nés avec un linge portant l'odeur de leur mère! Que les femmes cessent d'allaiter leurs petits et de les prendre contre leur peau quand ils pleurent… que les immigrés du monde entier cessent aussi de se sacrifier pour mettre femmes et enfants à l'abri, au pays, et qu'ils cessent d'en tirer leur fierté, ces usages n'ont plus de sens. Dépassés. Et quand le «Titanic» coulera que personne ne crie plus: «Les femmes et les enfants d'abord», mais «les enfants, s'il vous plaît. Avec ceux qui en ont la garde!»

Source: Paris match